69. Remettre à mijoter
Ce furent des éternuements au loin qui les réveillèrent. Élisabeth sortit la première du Moucheron, puis se détendit complètement, se livrant à des exercices de gymnastique pour bien attaquer sa nouvelle journée.
Elle respira amplement et constata qu’elle s’était habituée à l’air ambiant et lui trouvait même d’agréables relents d’herbes et de résine.
Adrien la rejoignit et lui proposa d’utiliser cette première journée à construire une cabane.
Ils commencèrent à bâtir une petite hutte à partir de branchages.
L’après-midi, Adrien partit à la chasse équipé d’un nouvel arc qu’il s’était confectionné avec le bois des arbres locaux. La chasse s’annonçait facile car les dinosaures, petits ou grands, ne sachant pas quel était cet inconnu, s’avançaient souvent vers lui avec curiosité. Ils se mettaient alors à éternuer et il n’était pas difficile de les tuer.
Le jeune Terrien avait remarqué en effet qu’au moment d’éternuer les dinosaures s’immobilisaient et fermaient les yeux. Il profitait alors de cet instant précis pour frapper sa proie dans la tête ou au cœur.
Élisabeth le félicita pour son tableau de chasse et se mit en devoir d’accommoder le gibier frais. Elle comprit que, le dinosaure extraterrestre étant fade, il valait mieux l’accommoder avec certaines herbes odorantes qu’elle broyait entre deux pierres.
— C’est délicieux, apprécia Adrien la bouche pleine.
Élisabeth alimenta le feu pour y placer une autre patte de dinosaure.
— Vraiment ? Ça te plaît ce que j’ai préparé ? Pourtant ce ne sont que des herbes. J’ai trouvé des fleurs, j’en ai mis aussi. Je suis si contente que cela te plaise. Je vais essayer de peaufiner des recettes.
Elle s’arrêta brusquement et leva les yeux vers les nuages.
— Tu crois que là-haut, ils font quoi ? demanda-t-elle.
— Tu veux parler de qui ? Des oiseaux ?
— Non, tu sais bien, ceux du Papillon des Étoiles. Élé, Jocelyn, Nico, Gabi.
— Hum, ils doivent s’occuper. Ils doivent jouer aux cartes. Faire des concours de tir à l’arc. Écrire des poèmes. Prier pour nous. En tout cas si j’étais à leur place c’est ce que je ferais. S’amuser en attendant la mort.
Elle hocha la tête.
— Tu as quand même eu beaucoup de chance que je t’aie choisi.
— Enfin, tu ne m’as pas complètement « choisi », se défendit-il. Tu m’auras choisi quand nous ferons l’amour. Pour l’instant j’ai plutôt l’impression d’être plus désavantagé qu’eux là-haut.
— Comment peux-tu dire ça ! Tu te régales de nourriture gastronomique et tu peux discuter avec une femme !
— À quoi ça me sert d’être avec une femme si elle se refuse à moi ?
— Il n’y a donc que ça qui t’intéresse. Le sexe ! Ah, vous êtes bien tous pareils, les hommes. Tous des obsédés…
Elle s’arrêta, faussement en colère, puis lâcha :
— Je m’« offrirai » à toi, le jour où tu t’en montreras digne. Nous en avons pour longtemps à vivre ici et nous sommes jeunes. Je ne veux pas que notre amour soit un feu de paille. Je veux que ce soit la célébration d’un acte sacré. Je suis vierge pour l’instant. L’homme auquel je me donnerai devra le mériter.
Adrien grimaça.
— Je ne sais pas pourquoi mais je me sens un petit coup de fatigue tout d’un coup. Il reste de l’alcool ?
Ce soir-là Élisabeth dormit plus éloignée encore d’Adrien.
Elle maugréa dans son sommeil comme si elle parlait à une tierce personne.
— Non, mais pour qui il se prend celui-là ? S’il croit que j’ai besoin de lui il se trompe.
Et elle donnait des coups de pied dans le vide comme si elle le repoussait. Il eut un soupir désabusé, puis s’endormit avec un grand sentiment de solitude.
Dehors, les bêtes s’approchaient par curiosité, puis repartaient en éternuant.